En marge de la publication du rapport annuel du cabinet de conseil PwC sur la santé, présentant les appareils connectés aux smartphones comme faisant partie du top 10 des nouvelles tendances en matière de santé pour 2016, la réflexion est posée sur les enjeux et les limites globaux de cette technologie envers le secteur médical.
Le Wall Street Journal est formel : dans un article précédent, il n'hésite pas à qualifier les technologies connectées comme vitales pour maintenir, faire évoluer et surtout améliorer nos systèmes de soins. Loin de passer à travers la révolution de l'Internet 3.0, le domaine de la santé sera d'ailleurs l'un des plus impactés par ces innovations. Mais comment ? Si l'entrée des objets connectés dans le secteur médical est logique compte tenu des énormes possibilités dont ils disposent, peut-on réellement laisser progresser la technologie à une telle vitesse dans un domaine aussi stratégique que la santé publique ? Car s'ils possèdent un large auditorat de fervents défenseurs, les objets connectés trouvent également des détracteurs. Abus d'utilisation de données personnelles, argument marketing, ou révolution ?
Santé connectée : Le grand point d'interrogation
Si les technologies connectées connaissent une croissance exponentielle, avec la prévision d'une centaine de milliards d'objets connectés qui seront présents dans notre environnement d'ici 2050, seul le domaine médical démontre une telle circonspection à l'idée de l'avènement de ces nouveaux équipements gravitant autour du concept de l'Internet des Objets.
S'il n'est pas difficile de comprendre ce pourquoi l'assimilation du secteur de la santé et celui des objets connectés est source d'un tel niveau de prudence de la part aussi bien des professionnels que des particuliers et consommateurs, la parution du Livre blanc du Conseil National de l'Ordre des Médecins de l'édition 2015 fournit cependant une source tangible sur laquelle s'appuyer pour établir le contexte où évolue la santé connectée aujourd'hui.
D'après le rapport, le développement des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC), d'abord reliées au domaine sportif dans un souci de contrôle de la performance, au profit du plus grand nombre et leur médicalisation progressive sont résultantes d'une tendance générale à l'auto-gestion ou « quantified self ».
Le « quantified self » regroupe de façon générique les outils, principes et méthodes permettant à chacun d'entre nous de mieux nous connaître, de mesurer des données relatives à notre corps, à notre santé, à notre état général ou aux objectifs que nous nous fixons ». On peut ajouter que la principale originalité de cette pratique tient à sa dimension de partage, voire de comparaison, entre adeptes. – Livre Blanc du Conseil National de l'Ordre des Médecins
Aujourd'hui, nul doute concernant la popularité de cette tendance. À voir l'éventail impressionnant d'objets connectés mis en avant pour leurs capacités de gestion et d'accompagnement de notre santé quotidienne, comme les brosses à dents, les balances et autres équipements intelligents destinés aux séniors, on constate la féroce et soudaine lutte que se livrent les entreprises technologiques pour acquérir le monopole d'un marché qui ne tardera pas à rester en friche.
Mais cette course à l'armement dans ce nouveau marché de la santé est-elle vraiment salutaire pour le consommateur ? Le fleurissement des startups, l'augmentation fulgurante de produits mis en vente sur le marché et, fait notable, les impressionnantes levées de fonds de certaines entreprises mettent en exergue certaines questions à propos de la fiabilité et du respect de la déontologie dans un secteur aussi stratégique que la santé.
Pour établir un axe de réflexion, le rapport cite le Livre vert de la Commission européenne, qui établit que « ce marché [de la santé mobile] est dominé par de petites structures : 30% des sociétés de développement d'applis mobiles sont des entreprises unipersonnelles et 34,3% sont de petites entreprises (de 2 à 9 employés) ». Il en est de même pour le domaine des objets connectés, qui, comme celui des applications mobiles à visée sanitaire, compte dans ses rangs une grande majorité de sociétés émergentes, voire embryonnaires, « le plus souvent animées par la volonté de devancer la concurrence au risque de proposer des produits qui ne sont pas aboutis et ne garantissent pas un niveau de sécurité suffisant ».
Par « niveau de sécurité insuffisant« , il faut entendre ici le terme sécurité à propos de la pertinence du service médical quel qu'il soit rendu par une application mobile ou un objet connecté par rapport à la situation réelle du consommateur, et à propos du contrôle de données confidentielles émises par le consommateur. Ces deux problématiques forment le coeur de la fébrilité du marché de la santé connectée d'aujourd'hui.
Les objectifs des acteurs du marché d'aujourd'hui et demain
Le rapport identifie donc, à partir de ces deux problématiques, les menaces concrètes qui risque de décrédibiliser un marché en devenir. Ces menaces portent sur :
• La protection des données personnelles, des données de santé et la confidentialité.
• Le défaut de validation clinique pour une solution qui s'apparenterait à un dispositif médical, la tromperie sur la finalité d'une application.
• Le dysfonctionnement des produits et logiciels, le manque de fiabilité des capteurs.
• La vulnérabilité, les failles de sécurité des produits et logiciels.
Dans un article édifiant, la société de sécurité informatique américaine Symantec relevait la quantité astronomique de données personnelles issues de nos objets connectés qui se trouve dans un protocole de confidentialité d'une extrême précarité : la grande majorité des bracelets connectés peuvent par exemple être localisés partout via « leurs puces Bluetooth et au moins 20% des applications mobiles utilisées avec les objets connectés ne crypteraient pas leurs données correctement alors qu'elles les stockent dans le cloud. »
Dès 2013, le Financial Times expose d'ailleurs, dans un article de son édition de septembre, que «9 des 20 applis de santé les plus utilisées transmettent des données à l'une des principales sociétés recueillant des informations sur l'utilisation que les gens font des téléphones portables » d'après le Livre vert de la Commission européenne. La santé connectée est à un tournant du fondement même de son concept : fera-t-elle le jeu des data brokers, ces courtiers en données dont l'activité est en plein développement, où disposera-t-elle d'une restriction exceptionnelle du fait de son caractère stratégique ?
C'est aujourd'hui l'objectif principal et le plus grand défi des entreprises de l'IoT dont l'activité est basée sur la production d'objets reliés au domaine médical : dessiner les contours et les valeurs intrinsèques au niveau de la déontologie et des codes juridiques encadrant l'utilisation de ces objets, au risque de souffrir d'un manque total de crédibilité aux yeux du consommateur.
Car là est l'enjeu majeur : le rapport souligne le manque de reconnaissance des objets issus du domaine de la santé connectée, mais aussi celui de la domotique connectée. Alors que le premier secteur souffre d'une « appréhension qui tient sans doute au risque de perte de contrôle sur ses données et son intimité », le second secteur, qui peut aussi faire office de contrôleur cognitif pour les personnes âgées par exemple, présente une intelligence qui « comporte cependant le défaut de se révéler trop intrusive, et c'est ce qui explique sans doute que le concept n'ait pas encore percé alors que de nombreuses technologies sont d'ores et déjà disponibles ».
Et cette défiance s'en ressent : toujours d'après le rapport qui cite un sondage IFOP de novembre 2013, « seuls 11% des Français ont adopté un objet connecté pour surveiller leur santé : une balance essentiellement. Parmi ces 11%, les deux tiers effectuent un suivi régulier des données ainsi recueillies ».
La santé connectée, un pilier de l'économie en devenir
Pourtant, « les applications et objets connectés de santé peuvent constituer des outils complémentaires utiles à la prise en charge des patients. Ils peuvent soutenir et renforcer la relation patient/médecin« , relate le rapport.
Si l'aspect déontologique et juridique de la santé connectée fait encore débat, l'aspect économique qu'il revêt est la source d'un avis des professionnels plus tranché sur la question. Eric Sebban, président de l'entreprise spécialisée dans l'électronique médicale Visiomed, persiste et signe aussi bien dans La Tribune que dans Libération : la santé connectée est aujourd'hui la révolution tant attendue qui permettra au système médical français de s'alléger et en outre de devenir moins cher.
Une étude française a démontré que le suivi à domicile de ces malades, grâce à la télésanté et à des dispositifs médicaux comme l'auto-tensiomètre connecté, permettait d'économiser plusieurs centaines de journées d'hospitalisation par patient, et par an, soit des centaines de milliers d'euros. Dépenser moins et faciliter l'accompagnement, le confort de vie et l'autonomie des malades chroniques, en particulier de ceux qui habitent loin de leurs professionnels de santé : autant d'actions sur lesquelles la santé connectée pourrait venir concrètement en renfort de notre système de santé publique. – Éric Sebban, président de Visiomed
Le futur de la santé connectée repose donc sur ce principe de crédibilité. Outre les actions de la France et de la CNIL, la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, qui a ouvert courant 2014 des travaux dans le sens d'un consensus à propos de sa régulation, la Commission européenne a elle aussi engagé en avril 2014 des actions sur cette dynamique via la publication de son Livre vert et sur l'ouverture d'une consultation publique : celle-ci ayant pour but de prononcer sur les exigences à appliquer à la santé mobile en matière de sécurité et de performance des applications, et de sécurité des données de santé.
Les fabricants de dispositifs médicaux connectés ne se contentent pas d'apporter des réponses aux patients et aux professionnels de santé. Notre réponse est aussi économique. Pour cela, tous les acteurs, et notamment les pouvoirs publics, doivent s'en donner les moyens, se mettre maintenant autour de la table, et enclencher la mise en œuvre d'une véritable politique nationale pour développer la santé connectée. Il faut passer à un déploiement opérationnel et d'envergure de ces solutions, dépasser la multiplication de projets pilotes ponctuels et dispersés, et mettre en œuvre les 4 R (Régulation, Responsabilité, Rémunération, Remboursement). – Éric Sebban, président de Visiomed.
La réponse appartient donc d'une part à l'État qui doit d'un côté enclencher un processus de normalisation des terminaux associés au domaine de la santé connectée, et les entrepreneurs qui doivent d'une autre part fixer la législation en vigueur du secteur médical à leurs produits et services. Devant cet impératif, le président de Visiomed est conscient de la tâche ardue qui attend les industriels de l'IoT, mais demeure confiant :
Comme toute révolution, la santé connectée et la télémédecine portent leur lot d'espoirs et de craintes. Big Data, quantified-self, intelligence artificielle… Autant d'avancées technologiques qui font redouter une médecine déshumanisée. [Mais] Les objets connectés de santé ne sont pas des gadgets. Ils sont une des solutions tangibles pour rendre possible cette révolution. La santé connectée doit venir au chevet de notre système de santé publique. Si 2015 fut l'année des capteurs, 2016 sera à mon avis celle des services associés tant attendus. – Éric Sebban, président de Visiomed.
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