Nous avons lancé récemment un rendez-vous régulier avec des experts de l'IoT et du monde des startups, afin d'avoir le point de vue d'un expert du milieu. Aujourd'hui la parole revient à Alexandre Diehl, avocat à la Cour.
La parole de l'expert, lancé avec Olivier Ezratty est aujourd'hui suivi d'une nouvelle parole d'expert, celle d'Alexandre Diehl, avocat à la Cour. En interview dans un premier temps pour traiter de l'environnement juridique des startups, il interviendra régulièrement en son propre nom par la rédaction d'articles, certes législatifs, mais tout aussi importants sur le monde des startups et de l'internet.
Qu'est-ce qu'une startup ?
Alexandre Diehl : Du point de vue juridique il n'existe pas de définition pour une startup, mais plutôt une définition fiscale concernant une jeune entreprise innovante.
La « Jeune Entreprise Innovante » est un concept fiscal permettant à celle-ci de bénéficier de larges avantages fiscaux (exonération totale d'imposition sur les bénéfices la 1ère année puis 50% la 2ème année) et sociaux.
Aux termes de l'article 44 sexies-0-A du CGI, une JEI répond principalement aux critères suivants :
- La société emploie moins de 250 personnes, a un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros au cours de l'exercice, ou un total du bilan inférieur à 43 millions d'euros ;
- L'entreprise existe depuis moins de 8 ans ;
- La société a dépensé au moins 15% des charges à des projets de R&D ou elle est détenue à au moins 10% par des doctorants ;
- Le capital est détenu directement ou indirectement à au moins 50% par des personnes physiques ;
Dans la pratique, on a l'habitude de les accompagner jusqu'à la grosse levée de fonds industrielle. Pour ce qui est du reste, on considère, en tant que professionnels, qu'une société ne peut plus être considérée comme une startup dès le moment ou un grand groupe entre dans son capital.
Et lorsque les startups souhaitent obtenir de l'argent, il semble évident de commencer par la love money. Vient par la suite une vraie levée de fonds B1 avec des business angels et des fonds régionaux et enfin l'intégration dans le capital d'un grand groupe comme Orange par exemple.
On raisonne ainsi selon ces trois étapes dans un premier temps. Puis après ces levées de fonds, on devient une société qui engrange plusieurs millions de chiffre d'affaires chaque année. Mais comme il n'y a pas de loi qui règlemente cela, les startups sont obligées de changer de statut, une fois cette troisième rentrée d'argent.
Une jeune entreprise innovante dispose quant à elle d'avantages fiscaux et sociaux. Une loi spéciale pour les PME était la grande promesse électorale de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, mais elle n'a pas été tenue. Par contre, si elle venait à passer, alors cela devrait donner une définition pour les startups avec des avantages fiscaux et sociaux.
Lancer une startup signifie-t-il forcément engager un avocat ?
Alexandre Diehl : Il est dur pour une jeune entreprise de faire appel à un avocat puisque, du fait de son jeune âge, elle n'a pas encore de fonds.
Si je peux donner un conseil, c'est de toujours choisir de faire une SAS, c'est-à-dire une société par actions simplifiées. Les statuts sont alors libres et en terme de constitution, c'est ce qui coûte le moins cher.
Ce qui est vraiment étonnant pour moi, c'est de voir des personnes se poser énormément de questions sur le genre de boite à monter alors que leur business modèle n'est pas clair. Très souvent, après deux, trois questions ils sont même perdus.
Et dans le monde informatique, ce qu'il est essentiel de connaître, c'est avant tout la différence entre le mode licence qui peut être coupé à tout moment et SAS c'est-à-dire un service que l'on peut couper à tout moment. Seul un quart des personnes que j'interroge connaissent la réponse.
Aussi, quand j'aide une personne à monter sa boite, j'aime pousser les gens à raisonner, à réfléchir sur la façon dont ils vont présenter le produit et donc monter le contrat. Pour ça il faut donc savoir ce qu'il vend. Un contrat dans le cadre d'une startup permet alors de sécuriser le chiffre d'affaires. C'est en cela que j'interviens.
Dans 100% des cas, les personnes qui viennent faire appel à moi le font sur recommandation très forte d'entrepreneurs qui se parlent entre eux. Car dans ce marché une startup doit se protéger juridiquement. Il y a aussi les comptables et banquiers qui conseillent.
Malheureusement, une fois que nous avons eu cette discussion sur le business modèle, peu reviennent, ou alors ils ne le font qu'après avoir retravaillé leur business modèle. Mais loin de ce que l'on peut croire, les personnes ne sont pas effrayées de discuter avec un avocat comme moi, car je ne parle pas de loi, mais de business.
Il y a bien entendu des personnes qui ont réussi sans se couvrir, mais le business modèle que je conseille le plus souvent, c'est que le boulot d'un chef d'entreprise, c'est de gagner le plus le plus vite et en limitant les risques.
Et les brevets dans tout ça ?
Alexandre Diehl : Il y a une grande croyance sur le fait qu'on peut protéger des concepts et idées en France, mais c'est faux. On ne protège que trois choses sur terre :
- La formalisation d'une invention : un brevet, ça coute cher et c'est contraignant
- La protection d'un mot : une marque
- La protection d'un concept, mais surtout l'entreprise créée grâce au business, l'activité
Cela m'arrive environ une fois par semaine d'entendre quelqu'un me demander de protéger une idée. Mais par définition, un brevet c'est une protection que l'état donne sous la forme d'un papier, preuve de cette protection.
Le point positif, si une personne vole une idée protégée par un brevet et que la personne souhaite porter plainte, c'est les policiers qui s'occupent alors de résoudre le problème. Et souvent, ça passe beaucoup par les bons contacts.
Une fois que les policiers ont tout trouvé, alors ils amènent le tout devant un tribunal et très souvent, la Cour trouve un grand intérêt aux affaires de brevets.
Dans le cas de la concurrence déloyale, si une personne réalise la même chose, il est possible de le poursuivre, mais il faut pour cela pouvoir le prouver. Dans ce cadre bien précis, les avocats sont bien plus utiles et permettent à leurs clients de venir à bout du problème grâce à des astuces développées par habitude.
Une fois que le contrat est fait, il y a un suivi :
- contrat type pour vendre ;
- contrat pour les fournisseurs.
Dans le milieu immatériel, pour être propriétaire d'une chose, il faut un contrat écrit avec plusieurs mentions obligatoires. Dans le cas contraire, c'est le vendeur qui reste propriétaire et non l'acheteur. Une boite comme Accenture par exemple a valorisé à 1 milliard d'euros les actifs non vendus aux clients. Le suivi est donc primordial afin de revoir les clauses du contrat, qui peut s'avérer utile de temps à autre.
Ce qui me plait dans mon travail c'est de rencontrer des gens qui ont de super projets avec les yeux qui brillent, mais aussi les négociations de contrat. Ce qui est moins drôle c'est la rédaction. J'interviens souvent dans le cadre des logiciels avec des contrats de licence.
Comment se passe la revente des startups ?
Alexandre Diehl : La valorisation est très importante. Il est donc bon de réfléchir 12 mois à l'avance pour pouvoir en sortir, car on vend des actions d'une société, la garantie d'activité passive sur la boite et le contrat de cession des actions.
Avoir des clients est aussi un point fort pour une jeune société, car cela assure une revente plus chère que si elle ne possédait aucun client. Cela prouve que la société fonctionne bien. Un autre conseil que je me permets de donner c'est de déposer au minimum une à trois marques et d'instaurer toute une histoire autour de l'entreprise, de cette façon elle en sera d'autant plus valorisée.
Quels conseils donnez-vous donc à une personne qui souhaite se lancer dans l'aventure en lançant sa startup ?
Alexandre Diehl :
- De connaître leur environnement, de réaliser une étude de marché si possible, de la concurrence aussi et des acteurs bien entendu.
- Arrêter d'être angélique et naïf. Quand on monte une boite en tant que chef d'entreprise, on est là pour gagner de l'argent et non être gentil.
- Être rigoureux dans tout : le sens des mots par exemple surtout pour attirer des clients, lui parler de prix, de qualité de délai. Quand tu as une relation avec quelqu'un, il faut la contractualiser avec la personne.
- Il faut, et j'insiste sur ce fait, réaliser des procès verbaux d'assemblée générale chaque année. Car quand il y a une levée de fonds ou lorsque l'on souhaite vendre sa boite, on peut perdre jusqu'à 20% de valeur. Ne pas être rigoureux coute énormément d'argent.
Ce qui est beau dans le monde des startups c'est la rapidité à laquelle les levées de fonds se réalisent. C'est vraiment très spécifique à cet écosystème. De la même façon, si jamais elles ne lèvent pas de fonds dans les deux ans qui suivent sa création, elle ne pourra pas survivre. L'innovation, les services créés touchent un public large, car cela peut toucher le monde entier surtout avec internet.
Si jamais la startup se fait dévorer par un grand groupe, c'est qu'elle a mal été encadrée lors de la levée de fonds, ce qui risque de faire perdre 20% de son capital sans s'en rendre compte. Une levée de fonds doit donc forcément s'apparenter à un avocat. Il y a une trentaine de cadres juridiques dans les levées de fonds. Il faut donc faire attention aux requins, car dès que l'on sort du cercle de confiance, il faut un avocat pour lire le document synonyme de contrat.
La BPI fait souvent des emprunts et à partir de la page 26, il spécifie que cet emprunt peut se transformer en action et donc convertir cela en action pour entrer au capital sans que le startup s'en rende compte : Obligation convertible en Action.
Il est donc très important de faire attention dans ce milieu, car même une petite société n'est pas à l'abri, bien au contraire.
- Partager l'article :