Selon une théorie du roboticien japonais, Masahiro Mori, plus les robots sont similaires aux êtres humains, plus leurs imperfections nous paraissent monstrueuses. C'est de cette pensée qu'il a bâti la « vallée dérangeante », période de transition entre le rejet et l'acceptation de nos amis, les géminoïdes.
Pour lire la partie 1 Cliquez iciDes robots pour les humaniser tous
Mais qu'est-ce qu'un géminoïde ? Ce terme est né d'une invention du professeur Hiroshi Ishiguro, directeur de l'IRL (Intelligent Robotic Laboratory). En créant un clone robotique à son effigie, Geminoid F, le maître de la robotique est très vite devenu une vedette sur Youtube. Pour son plus grand bonheur ? Pas tant que ça. Hélas pour lui, sa création a suscité plus de frayeur que d'attachement.
Géminoïde, le robot du futur ?
A la différence des robots humanoïdes, les géminoïdes ressemblent comme deux gouttes d'eau à leur créateur. Ils sont de parfaits avatars, reproduisant à distance les expressions faciales et les paroles de leur maître. Et ce, grâce à une caméra vidéo qui enregistre les mouvements de l'être humain, qui seront directement transmis à la machine par le biais de signaux électriques. Comme nous le pouvons voir sur cette vidéo, Geminoid F réagit à chaque impulsion de son créateur, Hiroshi Ishiguro :
Ce dernier est composé de silicone et de matériaux électroniques et informatiques. Et pourtant de loin, on pourrait croire qu'ils est fait de chair et d'os. Depuis sa création en 2006, le chercheur se prend à rêver comme Frankeinstein et souhaite à long terme que le robot anthropomorphe puisse assurer à distance sa présence. Il fait le pari que d'ici quelques temps, il pourra présenter un discours dans une conférence à Tokyo, tout en restant tranquillement assis chez lui à Osaka. Et ce n'est pas le seul pari :
« Je pense que nous aurons une société de robot dans un futur très proche, d'ici 3 ou 5 ans » (Hiroshi Ishiguro)
En attendant qu'un tel scénario de science-fiction s'applique, le résultat n'est pas bluffant. Bien que son avatar soit fascinant à regarder, on est encore loin du compte au niveau de la liberté gestuelle et des mimiques. Mais Hiroshi ne perd pas espoir. Lors du Festival international du film de Tokyo en automne 2015, il a présenté une autre de ses fabrications : la femme-robot.
Contrairement au précédent, son système d'exploitation est beaucoup plus réaliste. Tout d'abord, sa peau en gel de silice est capable de vieillir et nécessite un remplacement au bout de deux ans. De plus, elle est capable de regarder les humains dans les yeux, de reconnaître les langages corporels et d'adapter sa réponse. Et elle peut même chanter. Quant à sa réception, elle lui a valu le surnom de « machine la plus sexy du monde« . Bref, juste une poupée améliorée de plus dans la société japonaise, déjà envahi par ce marché. Alors un scénario à la Her est-il en voie de s'appliquer ?
Les liaisons entre robots et humains, une idylle de plus en plus reconnue…
Au Japon, affleure de plus en plus un nouveau concept : la Love Doll. Ou Mariée de substitution. C'est la société Orient Industry qui est à l'origine de ce marché. Au coût de 890 à 3800 euros, les solitaires éternels pourront se consoler avec la poupée d'amour de leur choix. Avec la possibilité de choisir la couleur des cheveux, l'aspect des ongles, la taille de la poitrine, voire même la pilosité. Bien que le réalisme de ces poupées soit prenant, il n'en est rien à côté de Roxxxy.
Sans doute en référence au personnage principal du film Chicago, interprétée par Renée Zellwegger, ce nom a fait succès dans le monde de la robotique. Comme on le sait, les nouvelles technologies sont beaucoup utilisées dans le domaine du sexe. Et ici, la firme américaine TrueCompanion a lancé son premier robot sexuel. Perruque blonde, lingerie fine, Roxxy a tout pour plaire…mais présente surtout une avancée sur les poupées gonflables japonaises. Son consommateur peut choisir diverses personnalités : timide, aventureuse, pour hommes dominateurs, jeune et inexpérimentée ou très expérimentée. Son eltor ego masculin a vu aussi le jour au nom de Rocky.
Une équipe de l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle de Paris (ESCPI) est allé encore plus loin en inventant une peau de robot sensible au toucher. Ces créations pourraient bien faire du métier le plus vieux du monde une affaire d'informaticiens.
L'industrie du sexe ne sera pas la seule chamboulée dans toute cette histoire. Selon David Levy, chercheur britannique en intelligence artificielle et auteur du livre Love and Sex With Robots :
« L'amour et le sexe entre humains et robots sont inévitables. La question n'est pas de savoir si cela arrivera, mais quand cela arrivera…«
Pour lui, l'avènement des robots et le progrès de l'intelligence artificielle ne devrait pas tant poser de problème. Au contraire, c'est le paradis rêvé pour les personnes en quête d'amour. L'auteur leur trouve de nombreux atouts tels que le moyen de mettre fin aux difficultés d'érection ou les problèmes d'éjaculation précoce. « Il suffira d'employer les robots sexuels, programmés avec les connaissances psychologiques nécessaires, pour traiter ces dysfonctionnements cou-rants« , écrit-il.
Si les humanoïdes ne font pas encore fureur en Europe, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils fassent office de compagnons favoris au Japon, où le sexe se raréfie de plus en plus.
…malgré une société fortement marquée par la robophobie
Aurons-nous affaire à des relations du type Dick/Rachel comme dans Blade Runner ? Le lien social va-t-il se détruire ? La réponse est oui selon Jérôme Goffette ! L'auteur de l'analyse Naissance de l'anthropotechnie voit dans la progression de ces objets la venue d'une « palette de sensations plus variée ou plus intense que celles qu'on éprouve avec un être humain« . De quoi nuire aux relations intimes et décrédibiliser la complexité de l'être humain.
En attendant, quoiqu'en dise David Levy, on est encore loin du compte. Si l'on se tient au concept de la « vallée dérangeante » du roboticien japonais, Masahiro Mori, il suffit d'une seule erreur dans la morphologie ou le comportement pour provoquer une gêne. Lorsque le robot est trop similaire à l'humain dans son apparence, il se situe alors dans la « vallée de l'étrange ». Sa forte ressemblance lui cause défaut comme on le perçoit comme un humain n'ayant pas de comportement normal.
Dans ce graphisme, l'artiste distingue plusieurs phases. Tout d'abord, nous remarquons que les robots humanoïdes tels qu'on les voyait en 2005 et les animaux en peluche sont assez bien acceptés. Quant aux robots immobiles placés loin au niveau de l'anthropomorphisme, ils se retrouvent vite relayés à l'état de cadavre. Et de zombie dans le cas des robots mobiles. De quoi ravir les fans de Walking Dead. On notera également la place de la main artificielle dans la vallée dérangeante. On en conclue donc que si de simples prothèses se révèlent dérangeantes, il n'en est rien à côté de l'accueil qui sera fait des cyborgs.
Si les « géminoïdes » dérangent autant, c'est peut-être parce que nous entretenons encore un rapport conservateur avec la notion d'humanité. Le Quai Branly avait d'ailleurs remis en cause nos perceptions de l'humain à travers l'exposition « Persona, étrangement humain », où l'on peut encore contempler la fameuse « vallée dérangeante » jusqu'au 13 novembre 2016.
Il faudra du temps avant qu'on fasse preuve de respect à l'égard des robots, si l'on se tient au seul exemple d'Hitchbot (robot autostoppeur détruit par des routiers). Selon un sondage TNS commandée par la Commission Européenne, la France se tient dans le top 6 des nations pessimistes à l'égard des robots avec 52% des français qui voient d'un mauvais œil leur arrivée sur le marché. Si nous sommes autant atteint par cette phobie, que ce soit en France ou ailleurs, c'est parce que « nous ne sommes plus les seuls à posséder des « attributs humains » performants » et « parce qu'il n'est pas totalement exclu qu'ils finissent par avoir une intelligence supérieure à la nôtre« , comme l'exprimait dans Usbek et Rica le psychologue spécialiste des relations hommes/robots, Frédéric Lordo.
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