Dans une tribune libre sur TechCrunch, notre confrère américain, une experte américaine de l'industrie des télécoms, du paiement mobile et de l'identité via mobile, Alix Murphy dresse un bilan de ce qui pour certains pourrait s'intituler « l'année du paiement mobile ». L'occasion pour nous de relativiser l'annonce faite par le gouvernement français d'une « révolution » du paiement mobile tandis que 89 pays utilisent la monnaie digitale depuis plusieurs années.
Le paiement mobile n'est pas une nouveauté pour les pays émergents
Selon Alix Murphy, Analyste senior dans le secteur du mobile : « Si vous demandez à quiconque où en est le paiement mobile de nos jours, on vous répondra que ça ne fait que commencer. Avec l'annonce de Facebook selon laquelle vous allez pouvoir envoyer de l'argent à vos amis via Messenger et l'annonce d'Apple Pay l'année dernière, 2015 est devenue officiellement « L'année du Paiement Mobile ». Pourtant, les gens ne réalisent pas que tout cela a commencé il y a dix ans déjà. »
Pourquoi Alix Murphy remise t-elle déjà au placard une technologie considérée comme une « révolution » par certains acteurs ?
Tout simplement parce qu'au-delà des pays occidentaux et asiatiques, sont un peu vite évincés du tableau les pays en voie de développement, où le paiement mobile est « monnaie courante », et notamment en Afrique. Au Kenya, le système de payement M-Pesa Money Transfer a été lancé en 2007, par Vodafone et Safaricom, les deux opérateurs de téléphonie principaux en Tanzanie et au Kenya. Grâce à un simple téléphone, les usagers peuvent stocker une somme d'argent, le déposer ou en recevoir grâce à un numéro d'identification. Le service peut être utilisé pour payer des courses mais également pour payer des frais de scolarité et envoyer de l'argent à ses proches.
D'après Alix Murphy, M-Pesa recense 2,1 milliards de dollars de transactions par mois, pour 59% d'usagers au Kenya. Le tout justifié par un accès plus simple et rapide à un moyen de paiement, sans compte bancaire, moyennant le prélèvement d'une petite commission sur chaque transaction. L'absence de contrainte dans la création d'un compte bancaire justifie à elle seule l'expansion du paiement mobile dans les pays émergents, tels que le Paraguay et le Pakistan. Selon des études, l'Amérique Latine verrait l'extension de ses nouveaux comptes de paiement mobile grossir de 50% en 2014.
Au Bangladesh, selon CGAP, une branche financière de la Banque Mondiale destinée à l'aide aux populations défavorisées, 22% des Bangladais utilisent ce système de paiement mobile, ce que finalement beaucoup d'européens et américains ignorent, lorsque le premier service du type a été lancé seulement l'année dernière, en Roumanie. Toutefois cette forme de paiement n'est pas le fer de lance d'acteurs tels qu'Apple, Google ou Samsung, qui se disputent le terrain des transactions mobiles, puisque le paiement mobile largement employé par les pays émergents ne nécessite ni application, ni smartphone, ni terminal récepteur. L'intérêt de ces grandes entreprises réside dans l'adoption d'une innovation technologique par les commerces et les usagers, afin de vendre de façon massive des terminaux de paiement, intégrant notamment la technologie NFC.
Si le paiement mobile est prééminent dans les pays émergents, c'est que le compte en banque ne l'est pas
Selon des chiffres récoltés par la GSMA, le portefeuille mobile est aujourd'hui disponible dans 89 pays et a 103 millions d'utilisateurs actifs dans le monde, contre 60 millions l'an dernier, et seulement 30 millions l'année précédente, pour une offre de plus de 261 fournisseurs de services autour du portefeuille mobile. Dans ces pays, le paiement mobile a remplacé le compte en banque. La raison est simple, les usagers de ce service, souvent pauvres, ne sont pas jugés comme profitables aux banques, et des systèmes alternatifs leur sont donc proposés.
Si l'on considère toutefois que sur 2,5 milliards de personnes ne disposant pas de compte en banque, 1 milliard ont accès à leur téléphone mobile, l'intérêt des banques pourrait bien être attisé, mais de façon détournée. Pour des milliers de transactions situées aux alentours de 30 à 40 dollars, et pour une augmentation palpable des transactions de près de 45% par an, la sortie de smartphones low-cost et l'utilisation croissante d'Internet sur téléphone, c'est par cette voie qu'on pourra peut être bientôt parler de « révolution du paiement mobile ».
Avec l'ouverture d'APIs, et l'habitude prise de payer tout type de service avec le paiement mobile, les opérateurs, les banques et les usagers pourraient trouver un réel intérêt à la généralisation du portefeuille mobile, qui stocke et paye simplement. Imaginez votre salaire délivré très rapidement sur votre téléphone par votre employeur, comme c'est déjà le cas en Afrique Sub-Saharienne. Vous payez déjà Uber grâce au stockage des données de votre carte bancaire, ou pour l'achat de tickets de concerts, et autres services…Pourquoi ne pas utiliser le smartphone pour tout type de transaction ? La carte bancaire pourrait ne devenir qu'un lointain souvenir, et l'argent liquide se faire rare, au fur et à mesure.
Le paiement mobile n'est pas une révolution, il est déjà en place
Pour aller vers une généralisation de ces systèmes, il faudrait que les systèmes soient interopérables entre eux, à l'échelle mondiale. Ainsi, que vous présentiez votre smartphone français sur une borne de paiement aux Etats-Unis, en Europe, en Afrique, ou en Asie, il faudra que les systèmes soient compatibles et la technologie identique. Les commerçants devront s'équiper soit de terminaux de payements « officiels » proposés par des Apple, Google ou Samsung, mais des acteurs type start-ups pourraient s'emparer d'autres modèles et casser le monopole du terminal de paiement avec des initiatives simples et probablement moins coûteuses.
Le paiement mobile généralisé nécessite également la mise en place d'une sécurisation des fonds et d'une demande d'authentification quasi-systématique ainsi que d'armes anti-hacking, pour éviter les fraudes.
Les grandes puissances économiques pourraient donc bien s'être déjà fait voler la vedette en matière de « révolution technologique » par les centaines de pays en voie de développement qui ont eu besoin du paiement mobile dans une situation critique, sans souhait de renouvellement de leur système bancaire associé pour la vente de service. L'économie de la débrouille créera t-elle une nouvelle norme face au système bancaire, enclavé dans des critères de sélection élitistes ?
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Image en Une : StartupBRICS
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