Yvon Moysan a participé à la conception d'une étude sur le lien entre objets connectés, Big Data et assurance. Il nous en dit plus dans les lignes qui suivent.
Yvon MOYSAN est Président de Saint Germain Consulting et Lecturer de Digital Marketing à l'IESEG School of Management, il est dans ce cadre membre de la chaire Digital Banking et Big Data du Crédit Agricole Nord de France. Ses activités de consulting et travaux académiques portent essentiellement sur le digital marketing et notamment les objets connectés.
Yvon MOYSAN, votre cabinet Saint Germain Consulting vient de publier une nouvelle étude intitulée « BIG DATA: Panorama international des pratiques dans la Banque et l'Assurance », faut-il en déduire que les projets Big Data se multiplient aussi dans le secteur des services financiers ?
Nous assistons effectivement à une multiplication des initiatives Big Data dans la banque et l'assurance et ce sur les cinq continents. Dans cette étude, ce sont ainsi près de 50 initiatives dans plus de 10 pays différents qui ont été analysées. On n'évoque pas ici des perspectives, mais bien des initiatives lancées pour certaines il y a plusieurs mois avec des résultats concrets qui, d'ailleurs, dans la majorité des cas sont perçues comme étant positives.
Les objectifs de ces projets sont aussi variés que de pouvoir qualifier en temps réel les prospects potentiels, d'optimiser le taux de transformation de ces prospects en clients, d'améliorer la connaissance client, d'optimiser la gestion des sinistres ou encore de mieux lutter contre la fraude. C'est donc ici l'ensemble de la chaîne de valeur du secteur des services financiers qui est impactée.
Concernant l'étape initiale de la chaîne de valeur que vous évoquez, vous associez Big Data et objets connectés, qui permettraient selon vous une qualification des prospects en temps réel. Pourriez-vous l'illustrer ?
En partant du principe qu'un foyer sur deux résilie son contrat d'assurance habitation au moment de déménager, l'acquisition de nouveaux assurés consiste à pouvoir en déceler les signaux précurseurs. Pour détecter le bon signal, au bon moment, banquiers et assureurs achètent des données de prospects en nouant des partenariats stratégiques avec les GAFA ou encore en détectant un lieu ou une situation propice à la souscription d'un produit ou d'un service.
Pour l'illustrer, je peux vous citer l'exemple d'Aviva au Royaume-Uni qui a développé une assurance situationnelle pour les voyageurs en déployant des beacons dans les aéroports, capables de détecter un prospect et de lui pousser une notification pour lui proposer la souscription d'une assurance voyage à travers son application mobile.Aviva teste l'assurance situationnelle sur mobile dans les aéroports.
Dans le même esprit, au Japon cette fois, Tokio marine et Docomo ont créé un partenariat pour développer des produits d'assurance journalière situationnelle comme One Time Insurance qui couvre les clients durant leurs pratiques sportives ou durant leurs voyages ou One Day Auto Insurance à destination des conducteurs occasionnels. Les produits sont personnalisés grâce à la géolocalisation du prospect (aéroport, ski resort etc.) qui peut également y souscrire directement depuis une application mobile.
Vous mentionnez également la personnalisation des offres et de la tarification comme l'un des avantages du Big Data et des objets connectés, quels sont les différents modèles que vous avez pu observer ?
On peut citer, dans le domaine de l'assurance automobile, l'offre Pay how you drive dont le principe général consiste à adapter la prime d'assurance à l'usage et au comportement de l'assuré, soit au risque qu'il représente. En France, Direct Assurance propose ce type d'offre aux jeunes conducteurs. Les assurés installent alors dans leur véhicule un dispositif baptisé Drivebox intégrant un capteur GPS et un accéléromètre permettant d'analyser leurs comportements puis de réévaluer chaque mois le montant de la prime. Un jeune conducteur peut ainsi espérer jusqu'à 50% de réduction sur le tarif de base.
D'autres modèles existent. En Afrique du Sud, Discovery propose ainsi l'offre Vitality Drive qui repose elle aussi sur l'usage d'un capteur automobile DQ Track qui calcule un quotient de conduite mais qui permet de bénéficier cette fois d'informations de prévention et d'avantages en nature. Il est ainsi possible de sélectionner une zone préférée de conduite ou zone de sécurité, si la voiture quitte cette zone, l'assuré sera alors alerté par SMS. Il recevra également un SMS en cas de comportement différent du conducteur, dans ces deux cas afin de le prévenir d'un potentiel vol du véhicule. Enfin, selon la qualité de sa conduite, l'assuré peut bénéficier d'une réduction allant jusqu'à 50% sur l'essence dans les stations BP.
On retrouve également ce type d'offres en assurance santé aux Etats Unis, Oscar récompense ainsi ses clients actifs en leur remboursant 400 dollars pour un abonnement annuel dans une salle de sport et jusqu'à 20 dollars par mois en bons cadeaux Amazon s'ils atteignent certains objectifs d'activité que l'assureur mesure en équipant ses clients de traqueurs fitness.
L'assureur américain Oscar récompense ses clients actifs en bons cadeaux Amazon. Dans les différents modèles que vous citez, il est nécessaire d'utiliser un objet connecté, est-ce toujours le cas ?
Non, cette possibilité de personnalisation de l'offre et de la tarification ne se limite pas à l'association Big Data et objets connectés. L'assureur américain Progressive a ainsi fait évoluer son modèle de tarification pour intégrer des données de valeur client. Le prix affiché à tout nouveau prospect est désormais basé sur une démarche Big Data qui repose sur la constitution de quatre bases de données avec des historiques différents et la création d'algorithmes itératifs avec une logique test and learn. Les devis ne sont plus seulement basés sur le risque, mais aussi sur la valeur à long terme du client : les clients à haute valeur bénéficient donc désormais du tarif le plus attractif.
Pour vous donner un second cas concret, je peux également mentionner Scottish Widows, filiale de la banque Lloyds, qui, en croisant des données issues de la banque avec ses données issues de l'assurance a pu personnaliser sa tarification. L'assureur s'est en effet aperçu que les clients ayant tendance à ne pas dépasser leurs découverts autorisés et à payer à temps leurs crédits liés à leurs cartes bancaires avaient également tendance à être de meilleurs conducteurs. En conséquence, il a pu proposer des réductions de – 20 % à ces clients bancaires pour les équiper également en assurance automobile.
Effectivement les initiatives sont multiples et variées. Quelles sont pour vous les perspectives de développement et les grands challenges à venir pour le Big Data et les objets connectés dans la banque et l'assurance ?
Le « Big Data » et les objets connectés offrent de nouveaux outils pour optimiser la rentabilité des acteurs historiques dans les secteurs de la banque et l'assurance et les expérimentations vont continuer à se multiplier. Les challenges à relever restent toutefois nombreux, il s'agira par exemple pour l'assureur de faire le tri des informations qui déterminent un comportement à risque et il ne s'agira plus de couvrir le risque associé à un produit, mais les risques associés à des usages variés et personnalisés. Le tout dans un bon équilibre entre personnalisation et gestion de la vie privée.
Le Big Data et les objets connectés ouvrent également de nouveaux marchés à de nouveaux acteurs comme les AssurTech et autres FinTech ou encore les GAFA. Les AssurTech et les FinTech répondent à ce stade aux nouveaux usages en se positionnant sur des niches, en redéfinissant les modèles d'assurance et en se basant principalement sur le communautaire et l'expérience client. Les GAFA, eux, revendent leurs données aux assureurs et aux banquiers. Ils tentent également dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis de s'insérer comme un nouvel intermédiaire entre le client et l'assuré en comparant et en distribuant par exemple des produits d'assurance, sans grand succès toutefois… pour l'instant.
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