Le Consumer Electronic Show 2018 a fermé ses portes il y a un exactement un mois. Le battage médiatique étant terminé, les startups, les entreprises et les analystes s'expriment sur leur expérience du CES 2018.
Après un bilan à chaud, il est temps de se pencher sur les retours des visiteurs et des exposants. Comme à l'accoutumée, Olivier Ezratty, l'auteur du Rapport du CES 2018, nous fait part de son expérience. Cette année, il n'est pas le seul puisque nous avons interrogé deux jeunes entreprises ayant fait le déplacement à Las Vegas : Bio Pool Tech et Vivoka.
De nombreuses questions avant le départ
Malgré un tarif d'accès élevé (il faut compter 4000 à 7000 euros par personne en plus du stand, selon le rapport du CES 2018 d'Olivier Ezratty), la plupart des startups sont généralement satisfaites de leur voyage. L'impressionnante couverture médiatique permet de faire connaître des produits qui possiblement seront commercialisés dans les mois ou les années à venir. Se rendre au plus grand salon électronique mondiale permet également d'engranger de nombreux contacts : de potentiels investisseurs, partenaires, distributeurs, ou clients. Ce sont autant d'opportunités qui permettent de valider un projet et valider la commercialisation.
L'argent n'est pas la seule barrière à franchir par les startups et les entreprises. Elles doivent souvent préparer leur premier voyage au CES 2018. Pour quelles raisons faire le déplacement ? Comment se répartir le temps de présence sur le stand ? Faut-il prévoir une scénographie particulière ? Est-il nécessaire de sourcer les concurrents ? Voilà quelques-unes des nombreuses questions que se posent les exposants avant de partir pour Las Vegas.
Le retour positif des startups après le CES 2018
À cela s'ajoute un défi technique, car les organisateurs membres de la Consumer Technology Association demandent aux entreprises et aux startups d'amener dans leur bagage un prototype fonctionnel. Sur ce point, Emmanuel Berthod, dirigeant et CTO de Bio Pool Tech, une startup fondée en 2016 qui conçoit une piscine connectée écologique sans traitement chimique de l'eau relate une véritable course contre la montre :
“Nous faisons partie d'une pépinière Green Tech et on nous a dit que notre projet de piscine connecté avait de fortes chances d'être sélectionné au CES 2018. Nous avions réalisé un prototype fonctionnel et cela avait séduit beaucoup de monde autour de nous. Nous avons donc candidaté au CES 2018, nous avons été sélectionnés et là, nous n'avions plus le choix : le produit qui était censé sortir l'été prochain devait être prêt pour le 9 janvier 2018. Nous avons changé tous les plannings, nous nous sommes bagarrés et nous avons sorti un produit encore plus abouti que ce que nous avions en tête au départ.”
Emmanuel Berthod semble plus que satisfait de l'effet de sa piscine connectée écologique:
“Concernant l'interface et la facilité d'utilisation de l'application, notre objectif était de faire mieux que Nest qui est pour nous la référence en la matière. Au CES, les dirigeants de Nest sont passés sur le stand et il nous ont dit ‘Waouh'. Nous les avons donc remerciés en leur expliquant notre postulat de départ. Ils nous ont même demandé si nous étions à vendre !”
Cet ingénieur télécommunication de formation faisait son premier voyage au CES. Il faisait ce déplacement pour trois raisons. “Bio Pool Tech avait pour objectif de prouver les possibilités de son produit, de trouver des distributeurs en dehors en Europe, mais également aux États-Unis et dernier point de chercher des investisseurs afin de préparer une levée de fonds”.
L'après CES 2018 pour Bio Pool Tech ? Plusieurs rendez-vous prévus avec des investisseurs et une commercialisation de son produit prévu pour l'été 2018.
https://www.youtube.com/watch?v=VgR5Ktik8uA
De son côté, Vivoka présentait son majordome connecté Zac, un raton en laveur en forme d'hologramme capable de répondre à la plupart des questions et de permettre à l'utilisateur de contrôler sa maison sans créer de scénario. Créé en 2015 par quatre jeunes entrepreneurs sortis de l'école Epitech, Vivoka présentait au CES 2018 son majordome holographique dont l'industrialisation est en cours. Pour William Simonin, l'un des fondateurs de cette startup et son équipe c'était la première fois qu'il se rendait à la “Mecque technologique” :
“C'était une grosse première pour nous, même Las Vegas en général. On nous avait annoncé quelque chose de gros, c'était vraiment énorme. Nous sommes arrivés à sept pour ne rien rater, même à sept nous nous sommes vite rendu compte que nous ne pourrions pas tout couvrir”. C'était colossal.”
Au-delà de la démesure de Vegas et du salon, les retours pour Vivoka sont “plus que positifs”. “Nous sommes repartis avec les contacts d'une centaine de potentiels partenaires techniques et de possibles clients”, affirme William Simonin.” Le CES c'est également un moyen de prendre contact avec des grosses entreprises qui sont inaccessibles en France. À Las Vegas, nous avons pu présenter notre produit à plusieurs groupes finalement intéressés par ce projet.”
Vivoka ne cherchait pas spécifiquement des investisseurs. Il faut dire qu'elle vient de clôturer une levée de fonds de 1 million d'euros auprès de Business Angels, de BPI France et de la Caisse d'Épargne pour commercialiser son produit.
Présence des régions françaises au CES 2018 : quels résultats ?
Depuis la France, les régions françaises ayant fait venir les startups au CES 2018 ont suscité des critiques. Nous avons nous-mêmes relayé ce que nous considérions comme une guerre de chapelle entre les différents dirigeants de ces territoires géopolitiques. De même, certains analystes, dont Olivier Ezratty souhaiteraient diminuer l'influence de ce régionalisme qui brouillerait le message envoyé aux investisseurs et aux acteurs étrangers intéressés par les startups de la French Tech. L'objectif ? Renforcer l'unité de la présence française dans un cas, répartir les jeunes entreprises dans des thématiques de l'autre. Cette vision n'est pas totalement partagée par les startups interrogées.
Emmanuel Berthod de Bio Pool Tech explique que la compétition entre les régions n'était pas flagrante :
“Je pense que c'est une vision provenant de l'extérieur du salon. En effet, les régions ont mis le paquet pour se rendre visible et on peut le comprendre, ils ont engagé des moyens financiers pour cela. Il y a la volonté d'être attractif à l'international, c'est très bien. Si les régions veulent attirer les talents quel qu'il soit, cela veut dire que la France veut faire de même. Moi j'ai trouvé cela génial que les régions se mettent autant en avant. Certaines délégations se démarquaient plus que d'autres, mais ç'aurait été triste qu'il y ait des régions qui n'arrivent pas à le faire parce que chacune d'entre elles présente ses particularités. Cela représente toute la richesse et la beauté de l'attractivité de notre territoire.”
Concernant la possibilité de regrouper les startups par thématique, le fondateur de Bio Pool Tech considère cela comme intelligent, “mais le problème c'est que si on réalise un regroupement thématique, on efface la visibilité sur les régions et si on efface la visibilité sur les régions, on va effacer leurs investissements”.
Pour sa part, William Simonin fait la part des choses : “Nous n'avons pas ressenti la compétition entre les régions. En revanche, certaines d'entre elles avaient déployé davantage de moyens et avaient fait venir plus de startups que d'autres. Les journalistes invités par ces dernières avaient déjà préprogrammé leur déplacement et avaient donc moins de temps à consacrer aux autres startups.”
Vivoka qui s'était inscrit directement auprès du CTA pour participer au CES 2018 a finalement participé à la sélection de la région Grand Est. Tout comme Emmanuel Berthod partit au CES 2018 avec la région PACA, William Simonin salue l'aide de sa région : “Elle nous a aidé à préparer le stand et réaliser l'acheminement du prototype. Et heureusement, on ne se rendait pas compte de la charge de travail pour organiser un tel événement.”
L'avis d'Olivier Ezratty sur le CES 2018
Quelles sont les nouveautés de ce Rapport du CES 2018 ? Y a-t-il des nouveaux formats, des nouvelles thématiques ?
Sur la forme, j'ai fait évoluer ce Rapport en intégrant une rubrique consacrée à une lecture du salon par marché comme la banque, l'assurance ou les télécoms. Cela peut aider à préparer une visite ultérieure du salon. J'ai aussi bien complété le guide de visite et le guide de l'exposant pour encore mieux accompagner l'écosystème français à bien tirer parti du salon. Dans la thématique des transports, j'ai fait un petit tour des projets Hyperloop et digressé, pour le fun, sur les contraintes techniques d'une téléportation de personnes. J'ai aussi creusé le sujet de la 5G dans une optique de vulgarisation.
Sinon, j'ai évidemment fait le tour des nombreuses thématiques de ce vaste événement : les véhicules autonomes, la VR et l'AR, les objets connectés en tout genre, la TV, et la thématique transversale de l'intelligence artificielle pour ne citer que les principaux.
Après plus de dix ans à parcourir les allées du CES, peut-on encore être impressionné par les technologies et les produits présentés ?
On ne découvre pas de grosses tendances au CES, car elles sont déjà engagées avant le salon. Et l'information circule plutôt bien sur Internet ! Il y a cependant toujours quelques surprises. J'ai notamment été impressionné par la qualité de la présentation de la berline de Byton, à la fois sur le fond et sur la forme : une conférence de presse grandiloquente et un stand extérieur accueillant et de qualité détaillant de très nombreux aspects du véhicule. Il y a aussi une bonne dose d'objets connectés d'importance secondaire, mais qui peuvent être ingénieux ou tout simplement, loufoques. J'ai aussi testé quelques lunettes de réalité augmentée intéressantes avec un grand-angle de vue, comme chez RealMax.
En dehors du battage médiatique selon vous, quelles tendances technologiques ont marqué le salon ? Lesquelles ont fait un flop par rapport aux attentes des analystes ?
Il n'y a pas eu de véritable flop. Sauf peut-être celui de la Smart City. L'organisateur du salon avait créé un zone dédiée sur le sujet. Il y avait 85 exposants et l'ensemble était bien maigre, essentiellement focalisé sur les transports. C'était d'ailleurs présomptueux de vouloir faire un salon de la smart city. Celle-ci relève de systèmes complexes et multi-acteurs. C'est aussi bien un sujet politique que technologique, sur le rôle des citoyens, de l'open data, de l'articulation entre énergie, transports et environnement, etc.
Pouvez-vous nous confier trois points clés qui expliquent la “B2Bization du marché des objets connectés ?
Elle peut se manifester sous différentes formes. Cela commence par le « go to market » des fournisseurs d'objets, qui peuvent choisir de commercialiser leurs produits via des intermédiaires, assureurs, sociétés du BTP ou autres. C'est le cas pour quelques solutions pour la maison connectée ou dans la santé.
Le CES a toujours été un salon avec un grand nombre d'offres de composantes électroniques ou logiciels qui rentrent dans la composition des produits grand public présentés. C'est le cas pour Intel, Qualcomm, Texas Instruments ainsi que pour des fabricants de box TV comme Technicolor et SagemCom, de middleware pour ces mêmes box avec Nagravision ou Wyplay. Dans l'automobile, les équipementiers sont tous là avec Delphi, Valeo, Faurecia, Visteon ou NXP tout comme les nombreux fabricants de LiDARs (Velodyne, Quanergy, Innoviz, LeddarTech, …).
Ensuite, nous avons des objets connectés qui ciblent directement les milieux professionnels, comme ces solutions pour préserver la sécurité des ouvriers. Au CES, on pouvait par exemple avoir des startups françaises telles que Appi Technology et sa solution de communication audio full-duplex qui sert surtout aux chantiers et aux équipes de secours et WaryMe qui sert à vérifier que des ouvriers respectent les périmètres de sécurité de chantiers. Le dilemme entre B2B est B2C est assez classique dans les startups. Un grand nombre de solutions peuvent prendre l'un ou l'autre de ces chemins. C'est un choix d'ambition, de modèle de produit et de distribution. Il est souvent conditionné par les financements disponibles.
Enfin, il y avait des exposants tels que Panasonic qui avaient mis en veilleuse sur leur stand leur offre grand public (TV, appareils photo) pour se focaliser sur la smart city, les véhicules électriques et autonomes et l'équipement de cabines passagers d'avions. Ce virage est lié aux difficultés du japonais sur le B2C, notamment le marché de la TV qu'ils ont quasiment abandonné.
Le mariage entre IA et objets connectés semble acté pour les entreprises et les startups. Le grand public est-il prêt à ce nouveau paradigme ?
Ce mariage est acté pour la commande vocale qui est omniprésente dans nombre d'objets connectés. Cette commande devient le point commun de ces objets et résout une partie de la complexité de leur pilotage. L'IA est aussi omniprésente dès que des caméras sont en jeu, comme pour reconnaitre des visages dans la vidéo surveillance. Il y a pour l'instant plus de craintes sur la collecte et la circulation des données associées à ces objets que pour l'IA associée. Nous en avons un exemple avec CareOS, cette plateforme logicielle française fédératrice des objets connectés de la salle de bain. Elle fournit des fonctions de base à base d'IA pour la reconnaissance d'images et elle permet d'éviter que les données de la salle de bain se retrouvent sur Internet. Pour un miroir connecté, ce serait la moindre des choses !
Dans le rapport, vous mentionnez la “concurrence” des régions françaises avec la mission French Tech tout en souhaitant une harmonisation de la présence hexagonale au CES. Or, les financements des régions sont ceux qui permettent à beaucoup de startups françaises de faire le déplacement. Est-il possible de proposer une solution à ce problème en satisfaisant à la fois startups, régions et responsables de la mission French Tech ?
C'est un véritable sac de nœuds en effet. Un début de solution consisterait d'abord à encourager les régions à être un peu plus sélectives dans leur sélection de startups accompagnées. L'autre axe, qui a déjà été expérimenté en 2018 par Business France dans le marché des transports, consiste à créer des pavillons thématiques ailleurs que sur Eureka. Cela coûte un peu plus cher au m², mais c'est plus efficace, car plus ciblé. Les grandes entreprises françaises pourraient aussi jouer un rôle fédérateur comme l'a fait Dassault Systèmes dans la zone impression 3D de North Hall.
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