Nous avions annoncé précédemment le lancement de Connecteo Camp à Montréal le 24 mars 2015, un espace dédié aux objets connectés co-fondé par Philippe Nieuwbourg. Cet analyste français et auteur spécialisé dans l'informatique et les nouvelles technologies partage aujourd'hui sa vie entre Paris et Montréal. Avec la création du Connecteo Camp, il envisage un pôle complet d'activité autour de l'Internet des Objets avec en tête l'idée de conjuguer les efforts des acteurs du secteur et rationaliser les actions. Nous l'avons interviewé dans le cadre de notre série IoT Tour, en nous focalisant autour de la ville de Montréal pour notre première publication.
Connecteo Camp, c'est une OBNL (Organisation à But Non Lucratif), un format associatif qui diffère légèrement de ce que nous connaissons en France avec les Loi 1901. Les OBNL sont des entreprises tournées vers le secteur social qui peuvent réaliser des bénéfices. Connecteo Camp est basé sur un espace de coworking de 280m² dans le Vieux Montréal, à La Commune, le centre névralgique de la ville et aussi une des zones les plus touristiques avec la Place Jacques Cartier.
OBJETCONNECTE.COM : M.Nieuwbourg, pourquoi avoir choisi ce format et dans quel but avez-vous
créé Connecteo Camp ?
Philippe Nieuwbourg : En créant Connecteo Camp, nous souhaitions catalyser l'écosystème de création et d'usage des objets connectés, et promouvoir les bonnes pratiques, responsables et durables, car trop de gens entreprennent des projets puis abandonnent, c'est un gros gaspillage d'énergie. Connecteo Camp n'est pas vraiment un espace de coworking. C'est pour les créateurs d'objets connectés, les fabricants, les industries, les institutions, les investisseurs, le milieu académique ou le grand public…grâce à un développement collaboratif.
Pourquoi un modèle associatif ? Parce que nous ne souhaitions pas créer une entreprise avec une valeur capitalistique. L'idée, c'est d'aider la communauté avec une entreprise d'économie sociale. Pour autant, une OBNL peut et doit faire des bénéfices. Il n'y a pas d'actionnaires, les bénéfices sont ici réinvestis dans un objet social. On veut vraiment promouvoir une façon éthique et durable de concevoir l'Internet des Objets. On aimerait profiter de notre visibilité pour sensibiliser les parents, qui sont souvent démunis face à l'utilisation que font leurs enfants de leurs smartphones. Lorsqu'il y aura 500 objets connectés dans la maison, ça sera pire ! Les seniors aussi sont à éduquer au sujet. Si demain les objets connectés prennent une place prépondérante dans nos vie, on veut éviter que certains milieux, classes sociales et tranches d'âge se retrouvent isolés, voire déconnectés.
Nous avons installé notre espace dans un quartier important de la ville de Montréal, un quartier central : La Commune pour nous rendre plus accessibles. C'est un peu comme si on était au pied de la Tour Eiffel.
OBJETCONNECTE : Que pensez-vous d'initiatives comme la FrenchTech et pourquoi avoir fait Connecteo Camp au Canada ?
P.N : J'ai promis de ne pas mal parler de la FrenchTech… Cela fait trois ans que je suis au Québec et je trouve qu'avec le recul, il y a en France une schyzophrénie à parler des politiques et à toujours râler sur leur compte, mais de ne pas pouvoir vivre sans eux. Avec Connecteo Camp, nous voulons travailler, agir, mais pas faire de la comm'. A Montréal, il y a près de 5000 personnes qui travaillent sur des objets connectés. Ce sont des jeunes qui sortent de l'Université plein d'idées par exemple, des designers… Lorsqu'ils sont confrontés à un problème, ils n'ont pas forcément le réseau. L'idée, c'est de mettre toutes les énergies en puissance dans un même lieu et faire en sorte que les projets aboutissent.
Nous avons un avantage sur les Français, c'est qu'ils doivent aller chercher leur marché ailleurs, car la France est un petit pays. La proximité de l'Amérique du Nord et des Etats-Unis garantit un vivier potentiel pour les concepteurs d'objets connectés et industriels.
OBJETCONNECTE : Comment Montréal se transforme t-elle en ville intelligente ?
P.Nieuwbourg : On travaille avec Montréal sur sa stratégie pour devenir une smartcity. C'est une capitale avec beaucoup de pollution et de trafic. Les pratiques individuelles n'y sont pas toujours pensées de façon durable. On est quand même en Amérique du Nord, où on prend sa voiture pour aller au fast-food du coin… Il y a de gros problèmes de circulation, car Montréal est une île reliée par des ponts. Intra muros, 10% des gens sont en train de chercher une place de stationnement. Si on améliore simplement la manière de gérer l'emplacement où se garer, on va réduire le nombre de voitures.
On peut aussi rendre la ville intelligente avec les plantes. Le projet Biolamp par exemple, c'est un lampadaire qui transforme le CO2 en O2 (oxygène). Chacune de ces lampes intelligentes représente l'équivalent de plusieurs centaines d'arbres. C'est complètement durable et on peut également l'utiliser comme banque de recharge électrique. Tandis que c'est encore au stade de prototype, ils recherchent les premières villes pour passer à la diffusion.
OBJETCONNECTE : Que pensez-vous du Big Data et de la collecte de données en général ? Comment le Canada se protège t-il ?
P.Nieuwbourg : Je suis Français, mais cela fait quelques années que j'oscille entre Paris et Montréal. Au Canada, on est entre le libéralisme nord-américain et le protectionnisme européen. Les Canadiens prennent le problème de manière assez pragmatique, il y a des lois sur la protection des données personnelles mais on n'empêche pas les entreprises de fonctionner. Les règles peuvent être aussi en retard par rapport aux usages, par exemple, la loi sur le spam lancée il y a six mois n'a pas changé grand chose. Quand mon serveur est aux Etats-Unis, je peux spammer les Canadiens comme je veux. Ici, on compte beaucoup sur l'éducation et la compréhension du sujet par les gens pour faire attention. C'est comme pour les révélations d'Edward Snowden, ça fait longtemps qu'on est au courant que les Etats écoutent ce qu'il se passe, on a pas découvert la fuite des données quand Edward Snowden a commencé à parler !
OBJETCONNECTE : En conclusion, quelle est votre vision de l'Internet des Objets et qu'est ce qui retient vraiment votre attention sur le secteur ?
Philippe Nieuwbourg : Est-ce qu'on a besoin d'une voiture qui s'ouvre toute seule quand on approche, non. Par contre, on a besoin d'un détecteur dans notre boîte aux lettres, pour le courrier, ça va nous aider à vivre confortablement (NDLR : en relation avec la présentation du boîtier connecté de Postalert qui repère quand une nouvelle lettre arrive dans la boîte car bientôt les boîtes aux lettres des Canadiens seront pour bon nombre mutualisées au même endroit).
Les analyses prédictives et la sécurité sont importants. On pourra grâce à des capteurs sur les équipements industriels prévoir les pannes et les anticiper. Je ne pense pas que nous ayons besoin de l'Internet des Objets, mais cela nous offre un réel confort. En revanche, les objets ont vraiment leur place en entreprise.
Nous souhaitons échanger avec les gens qui font la même chose que nous dans le monde, toutes les initiatives similaires avec par exemple l'ouverture de la Cité connectée à Angers en 2015. En Juin, nous ouvrons notre showroom d'objets connectés, c'est le premier à Montréal, et cela va nous permettre de faire résonner cette énergie. On va accueillir des gens du monde entier à cette occasion. En Janvier prochain, il y aura bien entendu la délégation des objets connectés québécois au CES de Las Vegas. Et bientôt, nous allons nous rendre à un grand salon de la maison connectée.
Connecteo Camp est aujourd'hui composé de ses quatre fondateurs. Des personnes devraient être recrutées dans les mois à venir.
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