Lever des fonds est essentiel pour le développement et l'internationalisation d'une startup, a fortiori dans le milieu des objets connectés qui est totalement mondialisé. Ces moments sont centraux pour les fondateurs et entrepreneurs, car ils constituent des tournants à ne pas rater. Alexandre Diehl, avocat, nous explique les aspects juridiques de cette pratique.
Juridiquement, qu'est-ce qu'une levée de fonds ?
Une levée de fonds est le terme commun pour désigner une augmentation de capital d'une société où l'investisseur verse des fonds en échange de titres de la société cible. En d'autres termes, c'est une opération où l'investisseur obtient des parts de la société en contrepartie de versements de fonds. Généralement, les fonds sont versés à la société et non pas aux fondateurs ou autres actionnaires/associés qui ne vendent que rarement leurs parts.
Quelles sont les précautions à prendre de la part d'une startup ? des business angels ?
Conceptuellement, il est fréquent qu'une startup fasse une première levée de fonds auprès de proches (« love money ») puis, auprès d'un business angel puis enfin, quand tout va bien, auprès d'un fonds. Il est donc important de réfléchir à la première levée de fonds en tenant compte de levées ultérieures. Il convient donc de ne pas « octroyer » une part importante du capital dès la première levée au risque d'être en difficulté et/ou en minorité dès la levée suivante.
De plus, il est très important de comprendre qu'un investisseur verse des fonds dans une startup pour gagner de l'argent à terme (généralement à la revente des parts). Il est donc fondamental de ne pas faire une levée de fonds pour combler un manque de chiffre d'affaires, mais bien pour se développer, aller plus vite. Les investisseurs demandent toujours des comptes, un suivi, une augmentation du chiffre. Il faut donc bien valider l'objectif de la levée et de rester cohérents avec les promesses faites aux investisseurs.
En outre, en termes de capital, il faut toujours réfléchir à « réserver » une part future du capital à ses meilleurs salariés ou des partenaires très spéciaux. Généralement, cet octroi de parts se fait par le biais de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise (BSPCE) ou de bons de souscription d'actions (BSA) qui peuvent s'apparenter au terme anglo-saxon de « stock-option ».
Ces mécanismes, à fiscalité privilégiée, permettent de récompenser les salariés (et les lier à la société une durée minimale accessoirement), mais impactent la répartition du capital. Il faut donc prévoir systématiquement, dès la première levée, d'envisager à terme d'émettre des BSPCE / BSA.
Enfin, la négociation entre une startup et un BA / fonds d'investissement mène rapidement à la négociation d'outils juridiques (AG d'augmentation de capital, pacte d'actionnaires, etc.) qui peuvent être techniques.
Les investisseurs réclament souvent des droits spécifiques (par exemple : priorité, préemption, dividende prioritaire, clause de liquidité, etc.) que seuls les experts maîtrisent. Négliger ces aspects revient à laisser, à terme, aux investisseurs les décisions stratégiques de la société.
A quel moment fait-on appel à un avocat lors d'une levée de fonds ?
L'avocat n'est pas indispensable à toutes les étapes, mais il est fortement recommandé de le consulter à certains moments, et de manière indispensable au moins :
- lors de la réflexion (au niveau de la première levée) des futures répartitions de capital, en ce compris les projets de BSPCE / BSA et les levées ultérieures
- lors de la valorisation de la société, les actifs immatériels pouvant être fortement valorisés,
- lors du début des négociations avec les investisseurs, non pas sur les montants mais sur les mécanismes juridiques de la levée (simple augmentation de capital, réservée ou non, etc…) ou encore les répartitions capital / compte courant (debt / equity),
- lors de la finalisation des discussions et la négociation des documents juridiques, jusqu'à la signature finale
- L'implication de l'avocat à ces stades permet de limiter fortement les risques de dilution trop forte et d'octroi de droits trop forts aux investisseurs, ainsi que, le cas échéant, d'une meilleure fiscalité sur les parts concernées.
Comment formule-t-on une lettre d'intention ?
Il n'existe pas de modèles de lettre d'intention. Un tel document est un courrier qui exprime ce que souhaite le rédacteur : la finesse de la langue française permettra à l'émetteur de s'engager ou non. Ainsi, écrire : « nous souscrirons à votre augmentation de capital sous telles conditions » est plus engageant que d'écrire : « nous réfléchissons à participer à votre augmentation de capital ».
Il est conseillé, en toutes hypothèses, de préciser les conditions à la poursuite des négociations / participation à l'augmentation de capital, telles que la régularité des documents juridiques, l'existence d'une due diligence ou encore de garanties à apporter de la part de la société / fondateurs.
Enfin, une lettre d'intention étant un instrument juridique, il est conseillé de préciser le régime juridique de celui-ci, par exemple, en précisant que la lettre est soumise au droit français et qu'en cas de contestation, les tribunaux de XXX sont compétents.
Quelles sont les contraintes pour une startup ? Pour les investisseurs ?
Les levées de fonds sont le résultat de la rencontre d'entrepreneurs souhaitant se développer plus rapidement et d'investisseurs désirant participer à une aventure extrêmement rentable (souvent) à la revente. En conséquence, les contraintes de chacun sont liées à cet état de fait.
Les entrepreneurs / fondateurs ont comme principales contraintes :
- d'une part de conserver une société « propre » : avec des contrats fournisseurs et clients correctement rédigés et signés, la propriété intellectuelle réellement au sein de la société et non chez les freelances ou les prestataires externes, les documents juridiques comme les boards ou les AG, à jour, etc.
- D'autre part, définir correctement le plan de développement qui sera la base de la levée de fonds, le montant nécessaire à la levée et, en fonction de la valorisation, le pourcentage de parts qui seraient théoriquement dévolu aux investisseurs. Ça n'est qu'une fois cette étape définie que les contacts peuvent être noués avec ceux-ci.
De leur côté, les investisseurs ont les contraintes classiques d'investisseur :
- définir, au sein d'un flux important de projets alléchants, celui qui sera porteur à l'avenir, tant en termes de marché, de technologie ou rupture technologique, de besoin des consommateurs et/ou d'équipe,
- mener une due diligence ciblée et suffisamment technique pour déceler, au-delà de la simple comptabilité de la société-cible, les points forts et faibles. A ce titre, l'audit juridique est central, car il permet de justifier et faire exister légalement les risques, la valorisation ou le projet,
- finaliser la négociation, principalement sur la base des résultats de l'audit et de benchmark éventuels, et notamment de discuter de la valorisation réelle, de la répartition debt/equity et/ou encore des outils et mécanismes juridiques de la levée de fonds.
[author title= »Alexandre Diehl » image= »https://www.objetconnecte.com/wp-content/uploads/2016/04/alexandre-diehl-portrait.jpg »]Avocat à la cours de Paris et du Luxembourg, Alexandre Diehl est un spécialiste en droit informatique. Après une première expérience en tant que développeur, il s'est tourné vers le métier d'avocat, profession qu'il exerce depuis plus de 15 ans. [/author]
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