Ces dernières années le luxe s'est beaucoup concentré sur le patrimoine, en oubliant ses origines « rupturistes ». Avant de pouvoir revendiquer une grande histoire, les grandes Maisons ont souvent été des petits ateliers, créés par des artisans, qui allaient au-delà des demandes de leurs clients. Assisterons-nous au retour de l'innovation dans le monde feutré du luxe ? Evidemment, le Salon du Luxe qui s'est tenu le 6 et le 7 juillet à la Maison de la Chimie à Paris n'avait pas pour objectif de lier le luxe et la technologie, mais nous avons souhaité en savoir plus.
Retour au luxe inspiré par l'innovation
Les montres mécaniques sont des merveilles de technicité. Jean-Marc Vacheron, maitre horloger et fondateur de Vacheron Constantin, avait 24 ans quand il a ouvert son premier atelier et embauché son premier apprenti en 1755. Peut-on dire qu'il a lancé sa start-up ? En 1810 Abraham-Louis Bréguet a inventé la première montre-bracelet. Etait-ce aussi disruptif que l'apparition du mobile ? En 1927, sur l'effet piézo-électrique du quartz, Warren Morrison, ingénieur en télécommunication, a créé une horloge plus fiable que les anciens systèmes mécaniques. De nos jours, aurait-il inventé des montres connectées ? Pourrait-on raisonnablement dire que les maitres horlogers d'hier auraient été des geeks aujourd'hui ?
Sans l'avouer, le luxe partage beaucoup de valeurs avec l'innovation : imagination, créativité, haute technicité. La technologie permet de faire vivre des expériences singulières, très axées sur la qualité, très immersives. Et quand la technologie devient invisible, elle devient magie.
Sky is the limit
Cette année le Salon du Luxe avait choisi pour devise la phrase de Guillaume Apollinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». En attendant de partir sur Mars avec SpaceX, Orbital Views propose de le survoler avec son projet de tourisme spatial. Dès 2017, il sera possible d'expérimenter l'apesanteur lors d'un vol parabolique et d'y ajouter la vue depuis l'espace grâce à la réalité virtuelle. D'ailleurs, le contenu peut être différent, selon les envies ou les rêves du client – comme toute offre de luxe, elle s'adressera à des happy few habitués à du sur mesure – on pourra imaginer le vol au-dessus de la Lune, de Mars ou vers d'autres galaxies. Le projet a 2 ans et il est tout ce qu'il y a de plus sérieux, car réalisé en partenariat avec des acteurs de l'industrie aéronautique et spatiale. Pour votre prochain anniversaire… demandez la lune.
Une autre offre technologique repérée au salon appartient à l'entreprise Storytellers venant de l'industrie des jeux vidéo. Rien de très luxe jusqu'ici. Sauf que les technologies, notamment la réalité augmentée, sont un moyen exceptionnel pour créer une expérience immersive autour de la marque : des applications mobiles et des objets « collector » augmentés pour mieux mettre en scène le patrimoine ou le créateur de la marque, théâtraliser son histoire.
Quand la technologie se met au service du luxe
Clara Daguin, révélée au dernier festival d'Hyères, a présenté des vêtements qui expriment l'émotion. Ils ne sont pas « techniquement » connectés, mais portent en eux une forme de connectivité. Inspirés des réseaux informatiques, ils sont équipés de capteurs qui transforment les battements de cœur en signal lumineux. Par ailleurs, ils sont découpés à l'ultrason et soudés pour ne pas avoir de coutures. Seamless.
Un autre objet de luxe est « tendance » : la malle de voyage. Une jeune société bretonne Albatros propose des malles et de la maroquinerie « Made in France » et promet de les rendre connectés grâce à une puce pour prouver l'authenticité, assurer la traçabilité, le service après-vente du produit et bien plus encore. Le choix de la technologie restera secret jusqu'à 2017.
Aube, bel objet habillé de cuir par Aykow, purifie l'air. Il ne le filtre pas, mais détruit les molécules nuisibles par photocatalyse en lumière visible. Cet objet existe aussi en version connectée, qui grâce à l'application Aube via Bluetooth permet de suivre en temps réel l'évolution de la qualité globale de l'air dans la pièce ou la voiture.
De l'autre côté, un fléau très préoccupant pour l'industrie du luxe, celui de la contrefaçon, trouve aussi une réponse technologique présentée aussi lors du Salon. Gemetic propose sa solution brevetée, unique et innovante grâce au NFC. Pour vérifier immédiatement l'authenticité du produit, accéder à sa carte d'identité et vérifier son identifiant, il suffit de scanner le code avec le smartphone. L'authentification repose sur un processus dynamique d'échange d'informations entre l'identifiant d'une puce RFID et une base de données qui recense jusqu'à 40 caractéristiques du produit.
LaFrenchLuxe ou les agitateurs du luxe
Il faut particulièrement souligner la qualité des conférences qui ont offert un aperçu des grandes tendances de fond. Le premier jour aura vu l'annonce de la naissance de LaFrenchLuxe, un nouveau think tank lancé pour imaginer le luxe de demain. C'est une association d'entrepreneurs du luxe qui ont souhaité mettre leurs compétences en commun. Selon Thomas Mesmin, dirigeant de PMSH, société de services de luxe, et un des membres fondateurs de LaFrenchLuxe, explique la démarche :
« Le luxe est un secteur très difficile pour entreprendre, parce qu'on est tout seul et quelquefois face à de très grands groupes. Nous avons souhaité mettre en commun les compétences, imaginer le luxe de demain avec un œil différent des grands groupes et faire rayonner les pépites du luxe français. Ainsi, LaFrenchLuxe était née. »
Pour l'instant l'association compte 10 membres, mais l'appel est lancé à tous ceux qui seraient intéressés et surtout motivés pour créer des synergies et réfléchir ensemble à l'avenir du luxe à la française. Pas de cahier des charges, pas de critère de prix. Les valeurs – le savoir-faire, l'émotion et l'excellence – seront les seuls critères de sélection. Des entrepreneurs du luxe, vont-ils innover pour toujours être là dans 10 ans ?
Ni une technologie, ni un canal, mais la transformation de la vie
Lors de la conférence autour du retail, sans surprise, nous avons entendu qu'à quelques exceptions près les technologies et le big data ne sont pas encore entrés dans les mœurs, les tablettes de vendeurs sont rangées dans les tiroirs et le storytelling digitalisé n'est pas ce qu'il aurait pu être. Par contre, les marques deviennent de vrais médias, car leurs contenus online sont très demandés et le trafic sur mobile est supérieur à celui dans les boutiques. La révolution digitale n'a pas épargné le secteur du luxe, qui devra s'adapter.
Eric « Darkplanneur » Briones a mis en garde : « Le digital ne doit être perçu ni comme une technologie, ni comme un canal, mais comme la transformation de la vie. » On a parlé de la génération Y qui a une approche plus irrévérencieuse du luxe et qui sera son client de demain. Mais surtout, la silver generation, les premiers clients du luxe d'aujourd'hui, ont été mis en avant. On a appris qu'ils sont très connectés, et qu'en testant leur future Bentley ils demandent à vérifier la qualité du son avec leur playlist Spotify, qui l'eût cru ? Ils ont connu la révolution sexuelle, la révolution industrielle et la révolution digitale.
Ils aiment l'excellence, les marques de luxe et s'attendent à un service personnalisé. Il est temps de les écouter. Comme l'a dit en 2015 Axel Dumas, gérant d'Hermès International : « Peu importe votre prestige ou votre âge, vous devez être pertinent pour votre époque afin de continuer à exister ».
Au Salon du Luxe, on a admiré des vélos connectés à plusieurs milliers d'euros de la Maison Tamboite, on a remarqué des cartes de visite avec de QR code renvoyant vers le site de la Maison de Champagne Delphine Révillon, on a effleuré des arbres Phonofolium qui chantent quand on les touche sur le stand de Pixelis, on a vu de multiples cas d'application de réalité virtuelle et augmentée. On est resté sans voix devant les éléments et les fleurs Haute Couture imprimés en 3D par Initial Les Créations.
On s'est laissé emporter par le son du violon 3DVarius, lui aussi imprimé en 3D et présenté par son créateur Laurent Bernadac. Et bien sûr, on a twitté grâce à la connectivité assurée par le Bar à batterie de Global Charger. On a constaté que finalement, le luxe ne boude pas l'innovation. Ces deux concepts ne sont pas antinomiques, mais le secteur peine à mettre en avant les nouvelles technologies. A quand une disruption du luxe ?
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